Portrait daté 1779 d'une anglaise mariée à un suisse par le peintre danois Jens JUEL, il s'agit de Mathilde CLEVELAND, épouse de Louis-François GUIGUER, baron de PRANGINS posant dans son parc au bord du lac Léman (Statens Museum for Kunst)
Devanteau
En langue française et jusqu'à la fin du 16ème siècle, le tablier est désigné par le terme " DEVANTEAU " et par ses dérivés devantière, devantiau, devantier ou devantel.
Gravure légendée "galla mulier" (femme française) datée de 1563 et extraite du "Omnium fere gentium nostrae aetatis habitus" du graveur Ferdinand Bertelli (BnF).
Dans l'antiquité
Nous avons choisi comme première illustration du devanteau, cette statue égyptienne du Musée du Louvre qui représente un serviteur funéraire du scribe du trésor du roi Nebsemen portant un pagne à devanteau plissé et empesé, nous sommes vers 1188-1069 avant JC.
Au Moyen-âge
Dès le Moyen-âge, le devanteau désigne en France une protection en tissu portée par les femmes du peuple et les hommes dans leur travail. En 1330, le moine cistercien et poète normand Guillaume de DIGULLEVILLE désigne dans le Lexique des Pèlerinages, le devanteau ou devantel comme " un vêtement qui protège le devant du corps ".
Nous avons toutefois trouvé un texte daté de 1322 qui emploie le terme tablier dans cette phrase:" ....aunes de toile pour faire tabliez " (Arch. admin. de la ville de Reims t.II, 1ère partie p.300).
Dès la fin du 14ème siècle, la version illustrée du manuel médiéval sur la santé Tacuinum sanitatis nous présente en France quelques exemples de paysannes ou d'artisans portant un devanteau,
Ce boulanger et une femme devant le four. Tous les deux portent un devanteau pour le besoin de leur travail. ( BNF Lat.9333 vers 1450)
La Renaissance
En 1580, Maître Sébastien BARBIER, comte de LESCOET, cite dans un inventaire de tutelle à Ploudaniel (Finistère) le mot « devantyère » sans indication de signification . A cette époque, la devantière désignait en fait une jupe fendue par derrière pour aller à cheval. Que voulait désigner ce notaire, un tablier ou une jupe fendue?
De même, le devanteau désignait le tablier d'ouvrier ou de servante et le devantail désignait le tablier du boucher.
Un forgeron vers 1530 dans le Tacuinum Sanitatis (BNF 9333 fol71v)
Tablier
Durant la Renaissance en France et jusqu'à la fin du 16ème siècle, le tablier désigne en fait une table ou une planche.
Quant MONTAIGNE parle en 1595 de tablier dans ses Essais (MONTAIGNE, édition A. Thibaudet, p. 982) , il désigne exclusivement une surface plane, table ou planche à manger, plateau de jeux -on dirait aujourd'hui un damier ou échiquier-, étal de marchands ambulants ou non, plaques protectrices …
Jeu d'échec sur manuscrit du 15ème siècle ( BNF, manuscrits français 24274 f 34 et 37).
Au 17ème siècle
Dès le début du 17ème siècle, les dénominations devanteau et tablier vont cohabiter dans la langue française pour désigner ce vêtement de protection.
En 1606, Jean NICOT dans « Le Thresor de la langue francoyse » indique que le devantier ou devanteau est un tablier porté par les femmes et il écrit : "Les femmes d'estat ceindent leurs tabliers seulement quand elles se veulent mettre à table, pour contre garder leurs robes ".
De même, vers 1611, le lexique franco-anglais de Randle COTGRAVE indique que le mot anglais apron désigne aussi bien a table to play on et a long et large table-cloath.
Il faut donc en conclure qu'à cette époque le tablier désignait aussi bien un large vêtement de protection porté par des femmes voulant se mettre à table ou des personnes travaillant devant une table, mais aussi certaines tables ou plateaux à jeux.
Détail de la gravure "Le clystère" vers 1632-1633 d’Abraham BOSSE (vers 1602-1676) nous représentant une servante âgée portant un tablier ou devanteau pour les besoins de son service (BnF inv.G119).
Tablier ou laisse-tout-faire
Entre 1667 et 1674, parait le Grand Vocabulaire François. Le tablier est ainsi décrit: "Pièce de toile, de serge, de cuir, etc.. que les femmes et les artisans mettent devant eux pour conserver leurs habits en travaillant. Cette toile est propre pour faire des tabliers de cuisine. Les serruriers portent des tabliers de cuir. On appelle tablier à bourse, un tablier au devant duquel il y a une bourse pour mettre de l’argent.. Le tablier se dit aussi d’un certain morceau de mousseline, de taffetas, etc.. que les femmes mettent devant elles pour l’ornement. Un tablier de damas. Un tablier à dentelles".
On parle également sous le règne de Louis XIV du "laisse-tout-faire" pour désigner un court tablier orné porté élégamment par les femmes à la mode. Cette mode semble être déjà en vogue dans le vestiaire des enfants avec son intérêt évident de pièce textile de protection contre les salissures.
Portrait vers 1640 d'Anne d'Autriche et du futur Louis XIV qui porte un laisse-tout-faire avec piécette en mousseline bordée de fines dentelles (Château de Versailles, école française XVIIème)
Le dictionnaire
Dans la 1ère édition du dictionnaire de l’Académie Française de 1694, il est précisé que le tablier est " est la pièce de toile, de serge, ou de cuir que les femmes et les artisans mettent devant eux pour conserver leurs vêtements en travaillant », mais également "un certain morceau de toile ou de taffetas, que les femmes mettent devant elles pour l’ornement.".
Ce même dictionnaire précise que le devanteau est un " tablier que portent les femmes de médiocre condition. Elle portoit des herbes, des fruits dans son devanteau" et que le devantier est une "sorte de tablier d’étoffe, que portent les femmes quand elles vont à cheval".
Un peu plus d'un siècle plus tard, dans la 5ème édition du dictionnaire de l’Académie Française de 1798, la définition du tablier, du devanteau et du devantier n'ont absolument pas changée.
Durant tout le 18ème siècle, le tablier d'ornement est le plus souvent en mousseline, il est plutôt réservé aux enfants de la noblesse et de la haute bourgeoisie et aux femmes de la classe la plus élévée des domestiques, telles les gouvernantes, les marchandes de modes ou les femmes travaillant en contact direct avec leurs maîtresses ou leurs clientes.
Gravure de mode vers 1784 d'une femme en tablier de mousseline dit "à la gouvernante" sur une lévite ajustée.
Devanteau: tablier de province
C'est donc depuis le milieu du 17ème siècle que les termes devanteau, tablier et devantier vont cohabiter et leur utilisation dans la langue française variera en fonction de la condition sociale de celle qui le porte et avec des déformations phonétiques rencontrées dans nos provinces à partir de déclinaisons du mot devanteau, comme un devantiau en Berry, un devantier ou une devantière en pays gallo ou encore an daveñjer ou ar tavencher en Basse-Bretagne.
Au sens de tablier, les termes « devanteau » et « devantière ou devantier »» ne se sont maintenus qu'en province, les dictionnaires et encyclopédies ne connaissent même plus l'existence de ces mots.
La paysanne du Moyen-âge se contentait de relever sa cote pendant les travaux salissants, le tablier n'apparaît dans les documents écrits qu'au 15ème siècle. Appelé devanteau ou encore ventri, il ne joue qu'un rôle de protection, c'est un simple morceau de toile de lin ou de chanvre fixé devant la jupe. Au 17ème siècle, il fait partie intégrante du costume villageois. Les édits somptuaires étant en vigueur jusqu'à la révolution, les tissus restent simples, mais on y ajoute des dentelles rustiques. A la fin du 18ème siècle, les interdictions étant levées, toutes les étoffes sont utilisées.
Tableau par Louis Le Nain vers 1642 intitulé " Famille de paysans dans un intérieur" (Musée du Louvre)
En Bretagne
En Haute et Basse-Bretagne, cette pièce de vêtement est portée sur le devant de la robe, il est souvent légèrement plus court que la jupe, avec le plus souvent des plis résultant de son rangement à plat dans l’armoire, muni ou non de poches, étroit ou très enveloppant, doté ou non d’une piécette ou bavette.
Le tablier de tous les jours était de toile de lin ou de chanvre en ras, gariolage, rayeu, droguet ou berlinge. Il devenait un élément d'ornement et faisait alors l’objet de tous les soins de la femme pour les dimanche et jours de cérémonie. De coton ou de soie, il était brodé à la main. Fait de satin, de taffetas ou de moire,il était bordé et garni de dentelles et de galons,
Tableau vers 1850 par Louis Caradec d'une paysanne en pays bigouden (Coll.privée)
Nous vous préparons deux ou trois liens pour découvrir un aperçu de l'exposition sur De l'utilité à l'apparence ... nos tabliers
Rédacteurs: Daniel et Réjane Labbé